Le 3 juin dernier, nous avons échangé avec la Ville de Caluire-et-Cuire (qui participe au programme sur la thématique “Portage d’initiatives spontanées”) pour mieux connaître la démarche qu’ils ont engagée il y a quelques mois autour de la subsidiarité.
A son arrivée à la Ville en 2016, Bernard Agarini, directeur général des services (DGS), les décisions y étaient encore très centralisées et l’organisation en silos prévalait. Pour dépasser cette organisation, il décide de former l’ensemble de la ligne managériale au mode projet, obligeant ainsi chacun.e à aller chercher les compétences nécessaires au projet, y compris dans un autre service si besoin. Une mission organisation et méthode est également mise en place pour outiller le collectif des cadres et accompagner le changement, avec des agents prêts à donner du temps de travail pour épauler lors des moments cruciaux.
Bernard se saisit parallèlement d’une commande politique post attentats de création d’un événement autour des valeurs de la République, qu’il décline en une journée “intra” pour permettre aux agents de réfléchir aux fondements de leurs actions pour le public. En 2016, la journée est placée sous le signe de la laïcité, avec l’idée de promouvoir le droit et le devoir pour les agents de réfléchir et de s’exprimer; en 2017, la valeur “liberté” est interrogée, avec son corollaire de prise d’initiative, de développement de l’innovation et d’affirmation du droit à l’erreur. En 2018, la thématique de la fraternité ouvre la voie à un travail sur les valeurs managériales de la collectivité. Le collectif de cadres ajoute alors 4 valeurs (solidarité, bienveillance, cohérence, équité) aux 3 portées depuis son arrivée par le DGS (responsabilité individuelle, confiance, intelligence collective), le tout constituant un cadre de références pour les relations professionnelles au sein de la collectivité.
C’est quand se pose la question de l’articulation ou de la hiérarchisation entre ces valeurs, et de leur mise en mouvement qu’apparaît la notion de subsidiarité. Celle-ci affirme que chacun.e est légitime pour agir dans son périmètre d’action, parce qu’il ou elle est au plus proche du besoin et s’appuie sur les valeurs fixées collectivement. Ce principe est inscrit dans une charte managériale, et confirmé dans le projet d’administration en 2021. Entre-temps, l’apparition du Covid a accéléré le mouvement : face à l’incertitude et à l’apparition de nouveaux besoins, les agents ont su faire preuve (y compris aux yeux des élu.es) de leurs savoir-faire et de leur capacité d’adaptation.
Aujourd’hui, le projet d’administration fait l’objet d’une déclinaison dans tous les services : chaque service est invité à produire sa propre définition de la subsidiarité, dans un format libre. La seule contrainte étant que le support soit permanent, pour pouvoir rester dans les archives de la collectivité. Le service du guichet unique a ainsi produit un jeu de société avec une carte subsidiarité (“je suis responsable donc je gère des situations seul.e”), tandis que la Police municipale a réalisé une infographie et le service des parcs et jardins un schéma reprenant l’image d’un arbre. Chaque service a ainsi pu décliner les orientations du projet d’administration, sans vérification de cohérence a priori, et sans passer auparavant par un projet de direction (sauf pour les directeur.rices qui en ressentaient le besoin pour se l’approprier).
Si le projet d’administration comporte des exemples de situations concrètes de subsidiarité, il rappelle surtout des principes de responsabilité car “la subsidiarité ne se décrète pas, elle se travaille au quotidien, c’est un processus en évolution permanente. Si on a un cadre trop précis et figé, ce n’est plus de la subsidiarité, c’est du cadre”. Le droit à l’erreur est réellement reconnu, et de nombreux temps de régulation sont organisés (retours d’expérience, analyses de pratiques, etc.). Certains managers définissent malgré tout des procédures très cadrées, mais ce n’est pas la majorité des cas. La question de la gestion de l’information (l’organisation du flux pour faire connaître les décisions prises et permettre aux managers de les assumer, les canaux de circulation de l’information) est en revanche centrale.
A la question de la gestion de l’ego des managers qui lui est posée, Bernard insiste sur le rôle de l’exemple, et la reconnaissance à tous les niveaux (les managers eux-mêmes acquérant plus d’autonomie). Pour Emmanuelle Mazeaud et Mathilde Civale, qui accompagnent la démarche au sein du secrétariat général, il faut apprendre à faire la différence entre savoir et valider, et se poser la double question “Quelle est notre valeur ajoutée ?” (en tant qu’équipe) et “Quelle est ma valeur ajoutée ?” (en tant que manager).
Le sujet de la valorisation financière/des primes a d’abord été écarté car “il ne s’agissait pas d’un accroissement des tâches mais d’un accroissement de l’autonomie”. Par contre un travail connexe a été mené sur le bien-être au travail et les conditions d’exercice des missions (avec notamment des investissements réalisés pour lutter contre les troubles musculo squelettiques). La collectivité ayant récemment retrouvé des marges financières, il est aujourd’hui question de valoriser les missions ponctuelles.
Une autre question se pose : celle de la taille maximum de l’administration pour mettre en place ce type de pratique. Pour Bernard, le seuil maximal est autour de 1000 agents (à Caluire il y en a 600). Dans des collectivités plus importantes un tel changement doit passer par d’autres moyens qu’une impulsion managériale unique, des systèmes de décentralisation poussée par exemple. Dans tous les cas, la question du cadre général à l’échelle de la collectivité se pose, ainsi que les besoins de formation et d’accompagnement des services.
Bernard rappelle en conclusion l’importance de donner du temps à une telle démarche car, s’il suffit parfois simplement de reconnaître des pratiques existantes, cela peut aussi nécessiter un travail de fond, mais qui sera bien compris et partagé si les agents se sentent impliqués, reconnus et valorisés. Il souligne également le rôle de l’exécutif, qui doit, sinon soutenir la démarche de manière affichée, au moins en valider l’esprit, l’enjeu et le sens.