Après une première session organisée le 14 janvier, le groupe s’est à nouveau réuni le 2 février pour partager des expériences inspirantes en matière de management de la subsidiarité, et aller plus loin dans les premières idées de tests.
Quelles pratiques managériales inspirantes dans les collectivités territoriales ?
L’expérimentation de l’holacratie à la Métropole de Grenoble (présentation par Nadia)
L’holacratie repose sur le principe que toute organisation est orientée vers une raison d’être – son but ultime à atteindre – et que sa gouvernance est organisée en fonction de cette raison d’être. L’organisation est représentée sous forme de cercles qui sont autant de domaines d’activité et s’incarnent généralement à travers une équipe ou un service. Au sein de chaque cercle, l’autorité est distribuée via des rôles et des redevabilités. Les rôles correspondent à ce dont une équipe a besoin au quotidien, ils clarifient le « qui fait quoi » dans l’organisation. Ils se distinguent de la personne, et sont évolutifs (quand une personne remplit un rôle, on dit qu’elle l’énergise). Chaque personne a une totale autonomie pour réaliser ses actions et ses objectifs dans le cadre de son rôle.
Les règles de coopération sont formalisées dans une constitution, qui repose sur deux piliers :
- Tout ce qui n’est pas interdit est autorisé
- L’organisation est pilotée par ses tensions (une tension est le décalage entre la réalité et ce que l’on souhaite, elle n’est pas forcément négative).
Pour traiter ces tensions, l’holacratie propose deux types de réunions : la réunion tactique/stratégique pour traiter des tensions et la réunion de gouvernance pour évaluer et faire évoluer les rôles de chacun.
Ce système est expérimenté depuis un an au sein de l’équipe chargée de l’innovation à Grenoble Alpes Métropole d’une part, de la transition énergétique d’autre part. Il s’inscrit bien dans la philosophie d’un management de la subsidiarité en favorisant à la fois la prise d’initiative, le partage et la clarification des responsabilités, mais aussi l’efficacité dans la conduite des réunions. L’autre avantage mis en lumière par Grenoble est que les rôles sont dynamiques et permettent de bien distinguer la personne de la fonction.
A la Métro de Grenoble, l’holacratie n’a pour l’instant été testée qu’à petite échelle (deux équipes d’une quinzaine de personnes chacune, en grande majorité des cadres) et la question de son déploiement à d’autres directions (notamment les RH, mais aussi des équipes d’agents de terrain) se pose.
A la Ville de Grenoble, où l’holacratie est également expérimentée au sein d’une équipe depuis quelques mois, la direction générale souhaite inscrire ce fonctionnement dans son projet d’administration, ce qui suppose un changement d’échelle, des nouvelles pratiques, et un accompagnement des agents.
Un nouveau référentiel managérial inspiré de l’organisation libérée, à Annemasse (Aissia et Aurélie)
Depuis 2016, la Ville d’Annemasse a mis en place un nouveau référentiel managérial inspiré de l’entreprise libérée. La requalification de la bibliothèque Pierre Goy, et la création d’un tiers lieu culturel en 2019, « la Bulle », sont deux exemples de sa mise en pratique.
Dans le projet de la bibliothèque Goy, si les objectifs et les moyens disponibles pour la requalification ont été définis par l’élue et la direction en amont, toute l’équipe (y compris les agents d’entretien) a été impliquée dans des groupes de travail thématique, chargés d’identifier les problèmes et de proposer des solutions. La participation à ces groupes était obligatoire, mais chacun.e pouvait choisir sa thématique et son niveau d’implication, ce qui a permis d’embarquer même les personnes les plus en retrait au départ. Pour la « Bulle », la logique d’autonomisation a été poussée un cran plus loin puisque les groupes de travail et les outils de pilotage ont été co-construits par l’équipe du lieu (“par défaut, tout est de leur ressort, et s’ils sont face à une difficulté ils peuvent faire remonter aux échelons supérieurs”), dans le respect non plus d’objectifs mais des valeurs d’inclusion, de coopération, d’ouverture et d’innovation (“le partage des valeurs est ce qui a permis au collectif de rester aligné, de réguler les tensions, de se faire confiance pour avancer tous dans le même sens”).
Autre évolution notable : ces groupes de travail ont aussi intégré cette fois des élu.e.s et des habitant.e.s.
Dans les deux cas, ce mode de fonctionnement a permis une grande réactivité (“des choses ont été mises en place en moins de 48h!”), a favorisé la prise d’initiatives et la montée en compétences des agents, et a permis de prendre des décisions innovantes (par exemple de supprimer les postes de travail assis) sans rencontrer d’opposition de la part des équipes, puisqu’elles en étaient elles-mêmes à l’origine. Aurélie souligne cependant les conditions nécessaires à la réussite d’une telle expérience :
- du côté des directeurs, un nécessaire “lâcher prise”, pour accepter d’avoir une visibilité partielle ou du moins non immédiate sur tout ce qui se passe,
- un cadre, des objectifs et une commande politique clairs,
- des outils qui permettent de réajuster le projet en cours de route, pour aligner vision et actions (ici des outils numériques et de pilotage collaboratifs)
Avec une limite cependant : “quand on y a goûté” (pour les responsables comme pour les équipes), il est difficile de se réadapter à un environnement de travail “classique” …
La conduite d’opérations dans les services départementaux d’incendie et de secours (Lieutenant-Colonel Emmanuel Viaud, chef du pôle ressources humaines du SDIS73)
La subsidiarité s’incarne de manière très explicite dans les opérations de secours menées par les pompiers : les équipes sont en effet autonomes dans leurs interventions (c’est celui qui est au plus proche du problème qui décide), elles ont une grande réactivité et une réelle capacité à inventer des solutions pour faire face à la complexité et l’incertitude des environnements d’opérations.
Cette grande autonomie laissée sur le terrain aux équipes (le commandant des opérations de secours (COS) ne vient pas contrôler l’action de chacun.e) repose sur quelques grands principes :
– un sens clair donné à l’action et un cadre de référence commun sur l’intervention ;
– une formation commune régulière ;
– un collectif fort avec suppléance possible du manager ;
– des réussites fêtées et une culture du RETEX (les Retex locaux venant parfois nourrir et faire évoluer la doctrine opérationnelle nationale guide doctrine opérationnelle Exercice du commandement et conduite des opérations).
Autre pratique intéressante en intervention : la montée en puissance des secours pour s’adapter aux besoins, et le commandement évolutif, transféré au fur et à mesure de l’arrivée des commandements sur une opération.
A noter que cette culture managériale au niveau opérationnel ne se retrouve en revanche pas dans le cadre des activités fonctionnelles du SDIS (finances, RH, informatique, logistique, com’, formation …), où l’on retrouve la logique de silos et une organisation plus hiérarchique.
Emmanuel Viaud identifie deux pistes principales pour travailler un management de la subsidiarité :
- la création d’un « circuit de confiance » (dans la subsidiarité “chacun fait et se fait confiance”) basé sur des valeurs communes, des rôles, des processus et un référentiel managérial coconstruit, instaurant un droit à l’erreur.
- le changement de posture du leader, qui ne doit plus être dans le contrôle ni se concentrer sur la technique, mais s’attacher au sens et aux conditions de la confiance et de l’autonomie de ses équipes
Lors du tour de table qui suit ces trois riches présentations, un point fort ressort : celui de l’importance de cultiver la confiance et de poser un cadre favorisant l’autonomie (“un cadre et un processus c’est la condition de la liberté”). Avec quelques questions délicates à la clé : à quelle échelle poser ce cadre ? Comment concilier la temporalité (électorale) de la collectivité et le temps nécessaire pour ancrer ces pratiques dans l’organisation et lever les freins culturels ?
Précisons nos idées : et si… ?
La session s’achève par un travail, en deux groupes, de précision des premières idées de test, en repartant des besoins/problématiques identifiés dans la première session.
Chaque participant.e était invité.e à replacer, en face de son idée de test, trois à quatre « cartes besoins » pour vérifier que sa problématique répondait bien à ses besoins prioritaires.
Puis nous nous sommes essayés à la reformulation des idées en défi “Et si … ?”, avec quelques petits conseils utiles : être concret et ancré, ne pas viser pas une utopie … mais en même temps donner envie, être ambitieux… et ne pas hésiter à être radical dans la formulation du défi. Pas si facile !
Pour stimuler les porteurs de défis, des cartes “Pimp up” pouvaient être actionnées par les autres participant.e.s : “plus osé”, “plus ludique”, “plus collaboratif”, “plus humain” …