Comme l’a montré en 2020 notre enquête Réflexes Publics, la pandémie et les confinements successifs ont incité un certain nombre d’agent.e.s à prendre des initiatives spontanées pour faire face à des situations inédites, par exemple la fermeture d’un service ou à l’impossibilité de venir travailler dans l’administration. Se retrouvant soudainement dans l’impossibilité de faire leur métier, certaines personnes se sont spontanément proposées pour épauler un service voisin, ou bien donner un coup de main à des associations dans les quartiers, sans forcément attendre qu’on leur demande.
Dès lors, de nombreuses questions ont commencé à se poser : Comment, une fois revenu.e.s dans des conditions à peu près normales, éviter que ces initiatives ne s’estompent ? Comment créer un cadre collectif et durable qui encourage ce type de pratique, tout en évitant d’adopter une démarche trop procédurière et donc décourageante ? Comment sensibiliser les encadrant.e.s les plus méfiant.e.s à l’égard de la prise d’initiative, s’assurer qu’elles puissent être prises sans perturber le fonctionnement du service, sans mettre en danger l’agent.e à l’initiative, ni mal gérer le retour à son poste ?
Le 26 janvier dernier, toutes ces questions ont constitué le point de départ de notre première session portant sur la piste “Portage d’initiatives spontanées”, du programme Capacités Publiques. Une dizaine d’agent.e.s de quatre collectivités (Caluire et Cuire, Lyon, le Département de la Gironde et la Région Centre val de Loire) se sont retrouvé.e.s pour y travailler ensemble, et envisager les premières pistes à tester dans leurs organisations.
Le premier constat issu de nos échanges, c’est que les anecdotes rapportées pour illustrer la prise d’initiatives au sein des collectivités sont d’une grande diversité : ici, des agent.e.s volontaires pour effectuer des missions d’urgence, faire du portage à domicile, appeler des personnes isolées, rejoindre une réserve citoyenne ; là, des agent.e.s devenu.e.s bricoleur.euse.s et qui fabriquent des masques, voire même des distributeurs sans contact de gel hydro-alcoolique ; ici encore, des activités passées du présentiel à la visio (un moniteur sportif devenu coach à distance, des cafés, chorales, séances de méditation en visio), et d’autres avancées numériques (création de boucles Whatsapp, de FAQ, utilisation du Padlet dans les crèches), etc. Aucune de ces pratiques ne semblent majoritaires, mais l’on pressent que beaucoup d’initiatives ne sont pas forcément visibles et qu’il conviendrait de les collecter plus en détail et en profondeur.
Second constat : Pour l’avenir, toutes les collectivités participantes affichent des ambitions élevées pour développer la prise d’initiative et le pouvoir d’agir des agent.e.s après la pandémie. Les mots utilisés en témoignent : il est question de cultiver et libérer leur réactivité, adaptabilité, polyvalence, engagement, prise d’initiative, inventivité, talents, droit à l’erreur, entraide, responsabilité, qualité de vie au travail, et ce de façon inclusive et inclusive, reliée et territorialisée, résiliente, innovante, ascendante…
Le troisième constat, c’est que devant toutes ces ambitions, de nombreux obstacles semblent préexister, comme en témoignent les participant.e.s : des managers qui étouffent les prises d’initiative et peinent à accepter que ça puisse faire partie du temps de travail ; des agent.e.s qui ne sont pas tous enclins à prendre des initiatives pour aider les autres, qui d’ailleurs ne sont pas plus nombreux à oser demander de l’aide ; des travailleurs sociaux qui rechignent à accepter le soutien d’agent.e.s non formé.e.s au travail social ; un déficit de coopération entre les agent.e.s de services différents ; un soutien souvent aléatoire du politique et même du top management, etc.
Devant tous ces signaux, les participant.e.s se sont accordés pour dire qu’un risque devait être évité: celui de décider trop vite d’une stratégie voire d’un dispositif (challenge des initiatives, incubateur d’initiatives, budget participatif pour les agent.e.s, intrapreneuriat, réserve citoyenne, appel à idées ou à volontariat…) au risque de partir d’une analyse tronquée des problèmes. Bref, attention à ne pas mettre la charrue avant les bœufs !
Finalement les participant.e.s se sont accordés sur plusieurs principes pour la suite :
- Côté agent.e.s, il faut d’abord s’entendre sur ce qu’on appelle “initiative” ; par exemple, il faut peut-être s’entendre sur une “graduation” qui pourrait aller de “oser quitter momentanément son poste pour épauler un service voisin”, jusqu’à “inventer un procédé ou un service qui peut faciliter la vie des collègues et/ou des publics” ;
- Comme pour la pyramide de Maslow, avant que les agent.e.s osent porter des idées ou des projets nouveaux, il faut peut-être qu’ils soient en mesure de faire des choses plus simples : conduire un projet, oser dire qu’ils/elles ont besoin d’aide, oser sortir de leur zone de confort, travailler avec d’autres services, etc ;
- Du côté des encadrant.e.s mais aussi du politique, aucune prise d’initiative ne peut aboutir avec succès du début à la fin s’ils ne sont pas les premiers à en faire un principe fondateur, à créer un cadre sécurisant pour que les agent.e.s puissent le faire, à lutter activement contre les comportements qui nuisent à ce nouvel état d’esprit, etc ;
- Des débuts de pistes ont été évoquées pour stimuler la prise d’initiatives : par exemple sur un registre narratif, jouer sur les valeurs de la fonction publique pour montrer que prendre des initiatives nouvelles, c’est aussi prouver son engagement pour le service public ; Nous sommes tombés d’accord pour dire qu’il fallait repérer, étudier et donner une visibilité aux initiatives déjà existantes mais sous le radar, avant d’imaginer en susciter des nouvelles ; Ou encore, nous avons identifié la question de la “documentation” des initiatives comme un sujet important, qui permet de mieux capitaliser sur les initiatives, en particulier en cas de turn-over des équipes.
La session s’est terminée sur un travail d’identification des expériences que pourraient mener les participant.e.s par la suite. Lors d’une prochaine session, des porteurs de démarches originales seront conviés pour inspirer de nouvelles idées. A suivre !