Donner un cadre aux initiatives par l’intrapreneuriat : cap sur des programmes inspirants !

La seconde session de travail sur le thème des initiatives spontanées visait à s’inspirer d’expériences existantes. Nous avions convié Sabine Romon, directrice de la mission innovation de la Ville de Paris, et Vincent Sindirian, chargé de l’évaluation du Département de l’Isère pour des retours d’expérience sur des opérations que nous avions déjà évoqué il y a quelques années lors d’un webinaire sur l’intrapreneuriat en collectivité. Dans une logique d’écoute active, chaque participant.e était invité.e à noter des questions de compréhension et des besoins de clarification sur les projets présentés, ce que ça lui inspirait de positif et d’intéressant, et les limites ressenties, notamment dans l’hypothèse de transfert à sa propre organisation.

Start Up de Ville, qui s’inspire à l’origine en partie d’une rencontre avec l’équipe de Start Up d’Etat, est un appel à projets lancé en 2017 et reconduit en 2018. Les projets attendus devaient répondre à un problème ou un “irritant” au moyen d’une solution numérique. L’opération s’adressait à tous les agent.e.s de la ville de Paris à travers un appel à candidature largement relayé -un défi lorsque l’on sait que sur 52000 agent.e.s, la moitié n’accèdent pas aux emails dans le cadre de leur travail. Une fois les candidatures reçues, une journée était organisée pour aider les agent.e.s à travailler sur un pitch et le présenter en fin de journée devant un jury d’élu.e.s, directeur.rice.s, personnes extérieures. Sur 20 candidatures reçues en 2018, 4 projets ont finalement été retenus (contre 2 retenus pour 17 candidatures en 2017).

Les agent.e.s retenu.e.s étaient alors invité.e.s à quitter leur direction pendant 6 mois pour développer leur projet : d’abord un mois pour réfléchir, approfondir le projet et conduire un travail de veille, puis, si validation, travailler 5 mois en binôme avec un développeur informatique. Un dernier go/no go permet de décider si le projet est repris en interne ou abandonné. Le choix a été fait de retenir peu de projets, mais à fort impact, tous impliquant une mobilisation importante du Codir, des directions et adjoint.e.s concernés par le projet : par exemple un système de réservation de salles municipales destiné aux associations, ou encore un outil permettant de trouver plus facilement des aides à domicile pour des personnes dépendantes. Certains des projets ont nécessité un an et demi de développement. Le soutien des élus (Jean-Louis Missika, Emmanuel Grégoire) et du secrétariat général a été décisif.

Sabine est revenue plus en détail sur les questions de budgets (300 K€ pour la 2e édition, avec sous-traitance aux développeurs de NUMA) et d’investissement humain non négligeable, sur la façon dont il a fallu faire évoluer la place de la direction informatique et le recours et du soutien externe, ou encore sur la trajectoire professionnelle des agent.e.s ayant porté des projets, la réaction des services qui doivent se séparer d’agent.e.s pendant 6 mois, etc.

Également présenté par Sabine Romon, le programme “Inventeurs de ville” lancé en 2017 visait à ouvrir les projets au-delà des services numériques pour traiter les problèmes de troubles musculo-squelettiques (TMS) dans les services de la Ville. Les projets retenus étaient très opérationnels, et touchaient notamment à l’amélioration des conditions de travail du personnel de crèches ou dans les espaces verts -par exemple un outil inventé par les jardiniers pour faciliter le démontage de bancs publics. Certains projets ont donné lieu à des inventions de nouveaux outils et du prototypage, mais certaines idées ont pu être concrétisés par simple concertation avec le service achat, par exemple pour acheter des outils plus adaptés. 

Plus récemment, la Ville de Paris a lancé les Trophées de l’innovation, venant recompenser des initiatives ayant déjà eu lieu, et visant à faire remonter des projets existants sur le terrain, ainsi que “les trophées de la propreté”, lancé par la Direction de la propreté et de l’eau et avec à la clé des projets plus frugaux -par exemple un petit râteau pour décoller les autocollants de potelets).

Lancé en 2017 par le Département de l’Isère, “Construisons !” se présente comme une démarche participative et d’intrapreneuriat destiné aux agent.e.s du Département (plusieurs années une démarche comparable appelée “Managez vos idées”, lancée en 2011). Tout.e agent.e de la collectivité était appelé.e à partager une bonne pratique réalisée ou simplement expérimentée au sein de sa direction, proposer une idée d’amélioration sur des projets ou pratiques de la collectivité, dans la perspective de la concrétiser et de la diffuser, voir simplement communiquer sur un problème identifié qui demanderait une recherche de solution effectuée par et pour le collectif.

L’évaluation menée par Vincent Sindirian a permis de montrer les vertus de la démarche Construisons : elle a offert un espace de liberté et d’initiatives à une bonne diversité d’agent.e.s A, mais aussi B et C. Au total, 57 idées ont été recueillies, dont 46 sont devenues des “pilotes”, et 6 ont finalement été mises en œuvre. Parmi ces dernières : un dispositif de formations entre collègues sur des passions personnelles, un outil de réservation de salles dans les collèges hors temps scolaire, et un autre pour mettre à disposition les bureaux libres pour les agent.e.s de passage.

Mais elle a également montré les limites, en particulier en matière d’égalité de traitement (par exemple certains projets étaient favorisés juste parce qu’ils répondaient en premier et certains agent.e.s ont pu bénéficier d’un accompagnement plus poussé) et de transparence (par exemple un dispositif présenté comme un guichet permanent, alors qu’en réalité il suivait bien des étapes précises). L’une des raisons de ces difficultés repose sur la faiblesse des moyens mobilisés pour animer Construisons (10% d’un ETP, qui était en réalité obligée d’y consacrer la moitié de son temps). 

Parmi les choses à retenir

Il faut d’abord se poser les bonnes questions. Les présentations l’ont bien montré : les programmes d’intrapreneuriat sont exigeants en budgets et nécessitent un portage fort, et une importante mobilisation de ressources humaines. A leur terme, ils permettent tout au plus à quelques projets seulement d’aboutir -même dans une collectivité de la taille de la Ville de Paris. Pour éviter que “la montagne accouche d’une souris”, mieux vaut donc éviter de voir ces programmes comme des objectifs en soi, mais bien d’interroger en profondeur les objectifs attendus et partir de vrais problèmes, sous peine de générer beaucoup de découragement. En plus de se doter d’une stratégie claire, Sabine Romon suggère d’éviter d’ouvrir la boîte de pandore de la “boîte à idées”, et de mieux anticiper sur les projets à venir pour mieux se préparer en conséquence.

Il faudrait davantage penser ces démarches sur le moyen et long terme. Aucun des programmes présentés n’a duré plus de deux éditions, après quoi ils ont été soit interrompus, soit transformés, thématisés ou repositionnés. Comment faire pour s’inscrire à plus long terme, tout en restant assez souple pour évoluer au gré des priorités ? Comment éviter le risque de discontinuité, tout en restant flexible ? Comment éviter de monter des dispositifs trop ambitieux, trop complexes mais souvent sous-staffés, et tendre vers plus d’humilité et de frugalité ? (comme la Ville de Paris, qui dorénavant envisage de mettre un dispositif plus léger). Comment mieux documenter, capitaliser et évaluer, pour ne pas risquer de repartir à zéro avec les changements d’équipes et les turnovers ?

Il faut d’abord veiller à prendre soin des agent.e.s. Si l’intrapreneuriat se présente comme une façon de donner du pouvoir d’agir aux agent.e.s, il n’en est pas moins une forme de compétition, et sa mise en œuvre pratique exige de se poser des questions éthiques : Que faire avec la majorité des personnes qui ne sont pas choisies ? Avec la majorité encore plus grande qui ne répond pas à ce type de proposition ? Avec celles qui ne savent pas “porter un projet”, ou même prendre des initiatives ? Avec celles qui sont d’abord pré-sélectionnés mais dont le projet sera refusé plus tard ? Comment s’assurer que l’absence d’un.e agent.e lauréat de son service ne nuise à ses collègues ? Que ses collègues ne lui reprochent pas son absence ? Que des projets proposés ne relèvent pas du “droit commun”, mais soient bien des projets qui n’auraient pu naître sans le programme ? Comment assurer la même égalité de traitement à tous les agent.e.s candidat.e.s ? Comment être transparent sur les modalités de sélection ?

Quelles suites pour les participant.e.s ?

Pour l’instant, les équipes de la Ville de Caluire envisagent de tester concrètement à quoi pourrait ressembler une fonction d’accompagnement à un projet concret proposé par des agent.e.s, en tenant compte des riches enseignements des expériences de Paris et de l’Isère. En Gironde, l’équipe se montre attentive à l’idée qu’il existe peut-être en interne déjà de nombreuses innovations dont les agent.e.s seraient à l’initiative, mais qu’elles ne sont pas forcément visibles de l’extérieur ; il conviendrait donc de tester un dispositif permettant d’enquêter collectivement sur ces initiatives discrètes et de les documenter, pour les rendre visible et les valoriser -des “vendangeurs” en quelque sorte, pour débusquer de belles grappes de raisin sous les feuilles des vignes bordelaises ! Une hypothèse partagée avec les équipes de la ville de Lyon, qui aimerait que l’appui aux initiatives internes puisse s’articuler avec le plan d’administration en cours de mise en oeuvre, et puisse s’appuyer sur le projet de laboratoire d’innovation. Des projets d’expérimentation qui évoluent et devraient se préciser progressivement !

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